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Par Esclarmonde le 1 Avril 2014 à 21:07
Près de Montferrier (Ariège), mai 2012
Le monde en mon temps était poreux, pénétrable au merveilleux. Vous avez coupé les voies, réduit les fables à rien, niant ce qui vous échappait, oubliant la force des vieux récits. Vous avez étouffé la magie, le spirituel et la contemplation dans le vacarme de vos villes, et rares sont ceux qui, prenant le temps de tendre l'oreille, peuvent encore entendre les murmures des temps anciens ou le bruit du vent dans les branches. Mais n'imaginez pas que ce massacre des contes a chassé la peur ! Non, vous tremblez toujours sans même savoir pourquoi.
Extrait de Du domaine des murmures de Carole Martinez, roman que je vous recommande (et pas seulement parce que le personnage principal et narratrice se nomme... Esclarmonde !)
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Par Esclarmonde le 20 Mars 2014 à 14:28
Druides néopaïens
– Cela tombe bien que tu veuilles apprendre la magie, expliqua à Claire l'homme chauve, je suis le druide Amorgen, le chef de la cérémonie, tu es au pays de la magie, tu as quitté tes terres de rationalité pour venir nous voir ce dont nous sommes très honorés, car tu as compris, à ton arrivée sur notre île, qu'ici les pierres parlent, les lutins sont cachés sous les brins d'herbe et la mer abrite le royaume où la mort a été abolie. Si tu veux, nous t'hébergerons dans notre maison là- bas au bord du monde connu et nous te ferons connaître nos secrets pour que tu les transmettes dans ton monde afin de guérir les habitants de leur matérialisme et de leur avarice, mais cela risque d'être long, au moins jusqu'à la prochaine lune rousse du printemps."
Les deux femmes, Eithne et Gráinne, grandes prêtresses de la cérémonie, installèrent de jolis nappes sur l'herbe et sortirent des paniers des sandwichs de pain de mie, du soda et des boîtes de Guinness et de Harp*. Claire aurait imaginé quelque chose de plus étrange pour la cérémonie de Lúnasa. Elle demeura un moment songeuse, elle n'avait pas prévu que son voyage prendrait cette tournure, et ces druides, elles les auraient imaginé un peu austères avec un habit de cérémonie et une longue barbe blanche mais ceux-ci étaient assez jeunes et avaient des allures très banales. L'un d'eux, Meallán, portait même un T-shirt Diesel. Mais Claire avait surtout remarqué un autre druide qui portait un prénom qui pour elle était étrange, étrange car l'exact opposé du sien : Ciarán*. Le seul qui n'avait pas encore dit un mot jusque là.
Ciarán restait un peu à l'écart et s'enivrait. Claire trouva un peu déroutant qu'un druide puisse siroter de la bière mais comme s'il avait lu dans ses pensées, Ciáran s'empressa d'expliquer que non, pas du tout, elle n'y était pas, ce n'était pas de la stout* mais de l'élixir de bruyère et d'ajoncs confectionné par les fées.
« Vous voulez en goûter ? » demanda-t-il
Claire n'osa pas dire non. Le breuvage avait un goût qu'elle aurait été incapable de définir mais qui était délicieux. Une seule gorgée l'avait rendue différente, apaisée, ignorante d'un avenir incertain, toute sensation de frustration qu'elle ressentait trop souvent avait disparu.
Elle se surprise à trouver Ciarán tout simplement beau et différent des autres, la pièce manquante du grand puzzle de sa vie et elle se réjouissait de passer plusieurs mois en sa compagnie. Peut-être pourrait-elle lui demander de lui apprendre tous les secrets des magiciens celtes afin de toujours se trouver en sa compagnie ? Et Claire espéra qu'Amorgen soit d'accord. En attendant, il fallait vite qu'elle prenne son portable, si encore il daignait fonctionner sur cette colline, pour annuler le vol qu'elle avait réservé sur Ryan Air pour la semaine suivante avant qu'elle ait trop de frais d'annulation.
Elle ne s'était pas attendu à cela, en venant de ce pays, elle avait refusé de se fier aux images lisses et romantiques que les spots publicitaires vantaient et elle s'était contenté d'imaginer un pays ordinaire, juste un peu plus beau que les autres mais pas cet univers hors du temps et préservé de la modernité. Même le chantier de l'autoroute avait disparu.
Comme Claire l'avait souhaité, Ciarán, encore sous les effets magiques du breuvage des fées, l'entraîna sur un chemin bordé de vieux murs de granit et lui narra des histoires étranges où se mêlaient fantômes, esprits de l'autre monde, guerriers valeureux mais aussi des éléments plus modernes comme Internet ou les CD de ses groupes préférés. Il s'emporta même contre ces « enfoirés de politiciens qui avaient mené le pays au bord de la ruine » avant de s'excuser pour ce soudain emportement. Soudain, Ciarán s'arrêta et lui pris la main. Il l'entraîna dans une prairie et lui montra une fleur, fleur qui était tellement belle qu'elle n'osait pas la toucher.
« tu vois cette fleur ? dit le druide, c'est notre secret, les incroyants et les matérialistes ne peuvent pas la voir et si toi, tu le peux, c'est que ton âme est belle et pure.... »
Claire était troublée par le regard gris-bleu de Ciarán, le paysage autour déployait toute sa majesté et sa pureté, loin de la folie des hommes. Claire n'arrivait pas à croire que de tels endroits puissent exister et qu'un tel sentiment de bien-être puisse l'habiter. Et ce druide, Ciarán, elle semblait l'avoir rencontré bien longtemps auparavant.... Et seul un baiser de lui manquait pour que son bonheur soit parfait.
Claire se réveilla : son radio- réveil crachait une publicité agressive pour un gel douche au beurre de karité. Elle écrasa sa main sur le bouton "arrêt" et commença à s'affoler. Son avion décollait trois heures plus tard. Elle se prépara avec affolement et hâte mais quand elle sortit de son hôtel, elle resta pétrifiée de surprise devant une petite fleur qui avait poussé pendant la nuit dans l'une des plates-bandes de l'hôtel. C'était celle du druide de son rêve, son coeur se mit à battre très fort et elle sentit le rouge lui monter aux joues, cet homme merveilleux était-il donc réel ? Puis elle se rappela de cette phrase prononcée par Amorgen le chef des druides lorsqu'elle lui avait demandé si Ciarán pouvait lui montrer les secrets de leur magie et, en guise de réponse, il avait prononcé cette phrase sibylline :
« Ciarán est fils de la Lune et du Soleil et il navigue entre ombre et lumière. »
- Fin -
. Ciarán (prononciation "kirone") : prénom irlandais pouvant être traduit par "petit sombre"
. stout : bière brune
Et pour conclure, non pas des druides mais des bardes des temps modernes, le groupe irlandais Kila
Et aussi un lien au sujet de la colline de Tara où se déroule l'histoire : ici
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Par Esclarmonde le 17 Mars 2014 à 10:28
Claire finit par atteindre le sommet de la colline. L'endroit était aussi majestueux qu'elle l'avait imaginé avec ses grandes étendues herbeuses, son menhir fiché au sommet et la vue qui s'étendait sur des kilomètres sur une plaine à peine ondulée, à la palette infinie de verts et de jaune - le jaune du blé mûr qui s'apprêtait à être récolté. l'horizon était barré de nuages couleurs cendres que transperçaient les rayons du soleil. Seul détail qui lui rappelait qu'elle était bien au XXIe siècle : l'autoroute en construction en contrebas. Des citoyens réunis en association avaient beau protester, alerter l'opinion de tout le pays et s'activer pour l'arrêt des travaux avec un bel entêtement, rien n'arrêtait le progrès. Même là. Même dans ce lieu chargé d'histoire.
Claire n'en revenait pas d'être seule et n'entendre que le bruit du vent, seule dans cet endroit dont elle avait longtemps rêvé, le lieu ou les Hauts Rois se faisaient couronner, l'Irlande éternelle qui avait défié les Anglais et qui défiait dorénavant la globalisation financière, ce deuxième ennemi étant sournois comme le serpent et donc plus dangereux. Comme quoi, Saint-Patrick ne les avait peut-être pas tous chassé de l'île...
La jeune femme écoutait les branches ondoyer au vent puis vit un écureuil passer furtivement pour gagner au plus vite l'arbre le plus proche.
Soudain, le paysage se mit à osciller, à tournoyer, Claire vit d'étranges papillons danser devant ses yeux, puis plus rien...
Elle avait perdu connaissance.
Lorsqu'elle se réveilla, elle était allongée dans l'herbe au pied du menhir où jadis se déroulaient les célébrations qui réunissaient druides et princes de haut rang.
Un groupe de personne était là, tous vêtus de la tenue décontractée qu'adopte les randonneurs, chaussures de marche et chandails en polaire, qui contemplait Claire d'un air mi-songeur, mi- goguenard.
« Hey Miss, je suppose que la sieste était bonne ! » Dit l'un des promeneurs.
Aucun doute, c'était des gens du coin, cela tombait bien, Claire ne supportait plus les touristes et leurs réflexions stupides. Surtout les français : chez eux, soit l'Irlande était merveilleuse et les sentiments à son égard pouvaient aller jusqu'à la mièvrerie la plus sirupeuse comme si la laideur de la modernité et de l'éphémère n'avait pas traversé la mer Celtique ou alors rien n'allait, la nourriture était quelconque, et on ne les reprendrait plus avec les beautés de l'île Emeraude... Claire elle, avait perçu l'île telle qu'elle l'était vraiment, lumineuse et sombre, joyeuse et désespérée, complexe comme l'est l'âme humaine.
– Vous êtes bien tombée, dit un autre homme, un chauve qui semblait être le plus âgé de la bande, nous sommes des druides et nous nous apprêtons à célébrer Lúnasa* pour que les moissons soient belles et les récoltes abondantes et c'est avec grand plaisir que nous vous convions à y participer, à moins que vous redoutiez que ce soit terriblement ennuyeux, et dans ce cas, je crains que vous soyez obligée de quitter les lieux car les esprits fâcheux et contrariants ne sont pas bons pour nous !
Voilà qui était direct et sans détour. Claire se redressa d'un bond, elle sentait qu'il fallait qu'elle reste là, à tout prix.
« Ca tombe bien, je veux apprendre la magie ! » déclara la jeune femme. Elle avait pris sans le vouloir un ton de supplication. Le groupe hocha la tête avec un demi-sourire un peu mystérieux.
– Et bien, bienvenu parmi nous, ajouta une des femmes du groupe, mais surtout ne dites rien, ce ne plus très bien vu de nos jours de croire à la magie !
– A cause des conneries qu'on déblatère à la télé ! ajouta un homme.
– Les journalistes... Je pendrais bien tous ces parasites aux lampadaires qui bordent les quais de la Liffey* à Dublin avec les bonimenteurs de Leinster* House pour qu'on les voit bien ! ajouta un autre avec un air de défi.
– Ca n'arrivera jamais ! les Irlandais sont devenus un troupeau de moutons bêlants avec en guise de berger Kenny* les menant au bord de la falaise, et malgré cela, ils supplient qu'on leur laisse les quelques miettes que les affairistes veulent bien leur donner ! Repris la femme
– N'ennuyez pas cette dame avec ces histoires, repris l'homme chauve auquel Claire attribua le titre de chef de la cérémonie, asseyons-nous, faisons silence et imaginons qu'il n y ait ni télé, ni tabloïds, ni Union Européenne, ni politiciens corrompus, ni banksters, ni rien de toutes ces fadaises ! Nous sommes 2000 ans en arrière, la paix règne, les Irlandais sont maîtres de leur destin, la magie et les anciens dieux sont respectés...
– Ca, ça serait génial mais c'est pas demain la veille !
– Chut ! Coupa le chef-druide.
Claire n'avait pas imaginé les célébrations païennes ainsi : ces gens, quatre hommes et deux femmes, étaient habillés et coiffés comme des gens ordinaires du début du XXIe siècle. Ils avaient emmené avec eux des paniers de pique-nique, des instruments de musique et parlaient d'avoir un bon craic*.
(à suivre...)
. Lunasa : fête celtique célèbrant le temps des moissons aux alentours du 1er août
. Liffey : fleuve traversant le centre de Dublin
. Leinster house : siège du parlement irlandais et par extension l'activité politique en Irlande
. Kenny : Enda Kenny, premier ministre de la République d'Irlande
. craic (prononcer "crac") : un bon moment, une discussion animée en Irlande...
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Par Esclarmonde le 1 Février 2013 à 08:40
La Chandeleur est une fête très ancienne d'origine celtique comme je l'avais expliqué il y a un an dans cet article .
Nommée Imbolc en Irlande, elle marque le début du printemps ou plutôt de ses premiers signes comme la naissance des agneaux et l'apparition des premières fleurs comme les perce-neige.J'ai pensé que ce serait plus sympa en musique....
Cette fête a été christianisée sous le nom de Sainte Brigitte (le 1er février) en l'honneur de Sainte-Brigitte de Kildare (451/525). Elle avait fondé un monastère après avoir vécu dans une cellule sous un chêne à l'emplacement de la future ville de Kildare à une cinquantaine de kilomètres de Dublin.
On remarquera que Brigitte de Kildare était contemporaine de Saint Patrick et donc de l'apparition du christianisme en Irlande. Elevée dans le druidisme et ensuite fondatrice d'une abbaye, Brigitte est un parfait symbole de la symbiose entre le paganisme et le christianisme en Irlande et plus généralement en Europe.
Son prénom Brigitte (ou Brigid) est celui du principe divin féminin dans la mythologie celtique, la déesse mère.
Elle est à la fois soeur, mère et épouse des autres dieux du Tuatha dé Danann.
Elle est protectrice des arts, la guerre, la magie et la médecine.
Elle est la patronne protectrice des bardes, druides et forgerons.
Son culte était aussi associé à la fécondité.
Une déesse vraiment polyvalente !!
Et c'est elle qui est désignée pour nous faire passer du vieil hiver au printemps neuf...
Une représentation moderne de la déesse Brigit.
Son culte était aussi répandu en Gaule sous le nom de Brigantia. Son nom est resté dans certains lieux comme Briançon, pas très loin de chez moi (Hautes-Alpes). L'origine de ce nom serait "briga" (hauteur).
Plusieurs paroisses en Bretagne lui sont dédiées et plusieurs chapelles portent son nom dans cette région.
En Irlande, des croix faites en jonc ou en paille sont fabriquées le 1er février, ce rite viendrait du paganisme.
Ces croix sont supposées protéger les maisons des incendies et des maléfices.
Brigid / Sainte-Brigitte est aussi liée au culte des puits sacrés en Irlande, même les peuples vivant dans des pays pluvieux avait conscience du caractère précieux de l'eau...
un puit sacré (Fahan, comté du Donegal)
Un exemple réussi d'une continuation du paganisme au sein du christianisme...
Difficile sans doute de voir des signes du printemps en ce début février mais gardons espoir !
Et nos crèpes ?
Elles viendraient aussi d'anciennes croyances païennes, les crèpes rondes et dorées représenteraient le soleil...
Bon appétit !
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Par Esclarmonde le 5 Janvier 2013 à 22:19
Pour aujourd'hui dimanche, juste un extrait d'un conte qui m'a beaucoup ému et où il est question de mon ami et voisin le loup....
(...) Il ne restait plus à Foraman, pour arriver chez lui, qu'à traverser un bout de forêt qui lui était familier. Il faisait nuit à présent, mais c'était une nuit de la mi-été, très claire. Le docteur avait l'oeil et l'oreille aux aguets, car il savait qu'une autre bête sauvage pouvait surgir à tout moment. Et, en effet, il ne fut pas plutôt engagé dans une vaste clairière baignée de lune, qu'il vit venir à lui, boitant sur trois pattes, un grand loup gris.
Foranan tâta son couteau et serra plus étroitement l'épieu qui lui avait sauvé la vie. Mais le loup, au lieu de se jeter sur lui, s'arrêta, le regarda, et se mit à gémir doucement en tendant vers lui, pour la lui montrer, la patte qu'il tenait en l'air.
Le docteur s'avança alors vers le blessé et reconnut qu'il avait un gros abcès à l'un des rugueux coussinets de sa patte. il tira la lancette qu'il portait toujours sur lui, perça l'abcès qui se vida d'un pus abondant, puis dit au loup :
- Noble animal, viens à présent au ruisseau pour que je lave ta blessure.
Le loup le suivit. Le docteur lava soigneusement sa blessure et, ce faisant, y découvrit une longue épine. Il l'extirpa à l'aide d'une petite pince, après quoi il banda la patte du loup et lui dit :
- Viens chaque matin ici quinze jours de suite, et je soignerai ta blessure.
Ils se rencontrèrent quinze matins durant, et le quinzième, Foranan dit :
- Te voilà guéri, ami loup. Tu n'as pas besoin de revenir.
Ils se séparèrent, et le docteur ne revit pas le loup pendant de longs mois. Mais un matin, en ouvrant sa porte, qui trouva-t-il sinon le loup, assis dans la cour et l'attendant. Près de lui se trouvaient trois vaches, chacune avec son veau, que le loup lui amenait en présent.
Puis le loup partit, et on ne le revit jamais plus. Pendant de longues semaines, le docteur interrogea ses clients, partout où il allait, pour s'assurer que les vaches n'appartenaient à personnes à plus de trente lieues à la ronde. Où le vieux loup les avait-il trouvé, cela resta toujours un mystère. Si bien que Foranan les garda en souvenir de son ami au poil gris.
Extrait de Les aventures du docteur Foranan O'Fergus, conte irlandais.
En Irlande, le loup a été un animal faisant partie du paysage et aussi des légendes locales jusqu'au XVIIe siècle, époque où l'occupant anglais décida de lancer de grandes campagnes d'extermination. Le déboisement massif et la situation insulaire du pays accélera le processus et officiellement le dernier loup irlandais a été abattu en 1780... (source Wikipedia)
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