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Stéphane
Monsieur Meunier, il s'appelait monsieur Meunier. C'est tout ce qu'elle savait de lui, un nom par ailleurs tristement banal pour quelqu'un qu'elle avait immédiatement remarqué parmi tous les parents d'élèves venus le jour de la rentrée des classes. Elle aurait pu le prendre pour un étranger.
Elle pouvait le voir deux fois par jour, quatre jours par semaine. Jours qui perdaient ainsi leur grisaille et leur goût amer d'ennui.
Bien entendu, c'était les mères qui venaient chercher leurs enfants dans cette école maternelle, il y avait aussi quelques grands-parents. Les pères, eux, étaient rares mais parmi eux, il y avait monsieur Meunier. Isabelle avait remarqué quelque chose de très vrai, d'authentique dans son regard et sa façon de s'adresser aux gens comme si, comme elle, il n'avait pas assimilé les manières futiles, grandiloquentes, compliquées et mystérieuses des gens d'ici, faites d'alliances intéressées et de réseaux locaux pourvoyeurs d'emplois ou d'issues favorables face à des problèmes administratifs épineux. D'ailleurs, tous ces parents d'élèves, lorsqu'ils croisaient le regard sans calcul d'Isabelle, ils semblaient ne pas la voir, évitaient de la regarder en face ou affichaient un regard qui passaient à travers son corps comme si Isabelle avait été invisible. Des attitudes de volailles d'élevage apeurées face à la hache qui allait les abattre.
Isabelle et monsieur Meunier avaient en commun l'habitude très hésitante de dire bonjour en rentrant dans le couloir de l'école à cause de l'incertitude permanente face à la réaction des autres personnes et c'est parfois le silence qu'ils avaient comme réponse. isabelle avait fini par se lasser mais monsieur Meunier continuait et quand il s'adressait à elle, son "bonjour" résonnait comme un défi dans l'atmosphère pesante de cette entrée d'école ou s'attroupaient des femmes qui n'avaient jamais appris à espérer autre chose qu'une fin heureuse dans le dernier épisode de la série télé Amour, gloire et beauté. Mais la vie éclatait enfin lorsque les enfants sortaient de la classe pour se jeter dans les bras de leurs parents ou grands-parents.
Isabelle aurait bien voulu savoir le prénom de ce monsieur Meunier, elle savait juste que son petit garçon scolarisé en moyenne section avec sa fille se prénommait Armel, un prénom qui la changeait des Enzo et autres Kimberley et qui sentait bon l'iode... Elle imagina que ce monsieur Meunier était breton, bretons qui ne pouvaient être que très différents des gens d'ici.
"Excusez-moi monsieur Meunier, demanda l'enseignante un soir de sortie des classes, pouvez vous me rappeler votre prénom ? c'est pour la fiche d'urgence."
- pas de problème, c'est Stéphane, répondit l'homme avec un sourire à la fois mystérieux et ironique.
Stéphane. un prénom banal, petite déception. Mais sa façon entière et spontanée de faire les choses dans ce monde calculateur ne l'était pas. Et il gagna la sortie avec son petit garçon en adressant un "bonne soirée" à isabelle avec son regard qui ne connaissait pas la fuite. Le rêve ne quitta pas Isabelle le soir-même et les jours suivants où elle espérait que Stéphane et elle s'échangent autre chose que des banalités.
Un mardi matin, le petit Armel arriva avec une dame. Elle avait ces tristes tenues en acrylique noir que portaient les jeunes femmes du coin. Elle annonça d'une voix tonitruante à un petit groupe de mères qui attendaient l'ouverture de la classe :
"vous savez quoi ? Stéphane a trouvé du taf chez Boyer et fils comme vendeur !"
- Et bé ! c'est super ! comme quoi, il faut s'accrocher dans la vie hein ?
- Et il était temps ! ajouta la femme avec sa voix de crécelle, il commençait à être bien pénible, tout le temps à l'ordinateur à écrire des poèmes sur son blog. La poésie c'est bien, mais ça fait pas bouillir la marmite !!... du coup, les filles, c'est moi qui amène Armel maintenant le matin... on va boire le café après ?
Isabelle sortit, l'air était humide et le givre recouvrait le jardin public voisin. L'hiver commençait, elle attacha son vieil anorak. Elle allait devoir faire des courses et le ménage, surtout ne pas penser...
Esclarmonde, le 29/11/2011
Tags : rencontre, école, amour platonique, frustration
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Commentaires
et oui, je suis abonnée à un autre blog d'Ekla, le scorpion électrique et j'ai des notifications pour des commentaires qui ne sont pas de moi et qui lui sont adressé.... Je ne sais pas si on peut éviter de les avoir. Mon texte a été inspiré en partie par l'école du village ou je vivais avant et ou mes deux fils sont allé, village peuplée de beaucoup de gens d'origine marseillaise et les femmes de cette ville semblent avoir une prédilection pour les tenues noires comme des veuves siciliennes d'autrefois en plus aguicheur.... Bises
Esclarmonde
Bonjour Esclarmonde J'aime lire tes textes qui présentent la vie simplement Bisous FriedaJ'aime bien ce texte, et ces histoires de vie qui ne font que se croiser.
Et le commentaire de Jonas D. est excellent!!
P.S. pour ce qui est des notifications c'est pareil pour moi. Vas dans l'onglet: mon compte===>notifications===>articles suivis (pour les articles que tu as déjà commentés chez moi où chez d'autre d'eklablog); tu coches les articles en question et "se désabonner"
J'ai suivi ta méthode et j'ai envoyé ma première newsletter, donc Nina et toi pouvez venir vous y inscrire pour recevoir mes news de posts.
Bises
Bonne journée
@ Saoirse, J'adore Jonas, ses commentaires comme ses articles, tu devrais y faire un tour : http://www.jonas-doinint.com/
Sinon, merci pour les notifications, bien que moi, ça me gène pas plus que ça.... Sinon, je me suis inscrite à ta newsletter hier soir.
Bises et bonne après-midi
@ Frieda, merci pour tes visites toujours chaleureuses, bises
Comme pour les sources, si Monsieur Meunier s'arrête d'écrire de la poésie, il faut s'attendre à découvrir bientôt des résurgences avec des flots de vers qui s'écoulent. Bises Dan
Merci d'apprécier mes écrits. Oui, Dan, chassez le naturel et il revient au galop... bises à mes deux amis bretons.
Esclarmonde
Quelle belle rencontre, dommage que la mégère soit menagère mais je l'espère le père pourra peut-être un jour repoétiser car il doit avoir de la douleur à l'intérieur, de la douleur à exprimer par la poésie... Bonne soirée bises Le Chaton
Ce qui est clair c'est qu'il est décalé dans la société ce qui peut entraîner une grande douleur intérieure effectivement... Merci pour cette remarque très pertinente. Bises et bonne soirée
Esclarmonde
J'aime beaucoup ce texte ... une rencontre , un chassé-croisé de deux êtres que la personnalité et la sensibilité auraient dû rapprocher, et puis le choc des cultures ! le poète dénigré et dévalorisé par un personnage d'une vulgarité sans nom ...
J'espère que Monsieur Meunier ne tournera pas le dos à son art !
Bises Esclarmonde, bonne soirée, Plume .
Pour le personnage vulgaire, je me suis simplement inspirée de bon nombre d'habitantes d'un village où j'ai vécu et dont je suis partie en courant en 2009 et il y avait même pas de poètes là-bas ! Bises plume et bonne soirée
Certains personnages sont comme, ça , il n'aime pas les poètes
Personnellement , je n'ose pas me qualifier de poète , pour certains c'est un peu péjoratif
douce journée
Bisous
timilo
C'est d'autant plus péjoratif vers chez moi que certains associent la poèsie et l'art à la féminité et les hommes se consacrant à la poésie, à la peinture sont vus comme efféminés... Résultats, peu d'homme fréquentent les Beaux Arts de ma ville !
Dommage !
Bisous et bon jeudi
Esclarmonde
la vie de tous les jour.. et le rêve..
mais poète ? ils ne devaient pas manger à leur faim certes.. mais le bonheur était là.. Armel petit garçon auréolé de mystère comme son papa
Isabelle a rêvé et Isabelle s'est réveillée, ... il ne fait pas bon rêver trop de nos jours.. jolie histoire Esclarmonde
je t'embrasse
belle soirée joelle
Superbe ! J'aime ce genre de textes, si vrais et bien écrits !
Je reviendrais pour lire la suite, ce blog me plaît déjà beaucoup :)A : Nais'
Bonjour à vous et merci de votre visite ! Oui, j'aime beaucoup l'écriture bien que depuis l'arrivée du printemps, je l'ai un peu délaissé... J'attend l'inspiration de nouveau et essaye de compenser par des petits reportages amateurs d'endroits que j'affectionne... A bientôt, je reviendrai visiter votre blog également (vu en coup de vent ce matin) car j'ai vu qu'il y est question d'amour...
Bon week-end
Amitiés
Esclarmonde
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Morale : ne jamais coucher avec de l'acrylique noir ! Les conséquences pour la poésie sont considérables. Pauvre Stéphane, à présent poète chez Boyer ! Bises.
Jonas
PS. Arrivent sur ma boîte les commentaires de tes autres abonnés. Comment éviter cela, il me semble que ce n'est pas prévu au menu de la newletter ? Re.