-
le refus d'obéissance
"Je ne peux pas oublier la guerre. Je le voudrais. Je passe des fois deux jours ou trois sans y penser et brusquement, je la revois, je la sens, je l'entends, je la subis encore. Et j'ai peur. Ce soir est la fin d'un beau jour de juillet. La plane sous moi est devenue toute rousse. On va couper les blés. L'air, le ciel, la terre sont immobiles et calmes. Vingt ans ont passé. Et depuis vingt ans, malgré la vie, les douleurs et les bonheurs, je ne me suis pas lavé de la guerre. L'horreur de ces quatre ans est toujours en moi. Je porte la marque. Tous les survivants portent la marque."
Monument aux mort de Termignon (Savoie)
"J'ai été soldat de deuxième classe dans l'infanterie pendant quatre ans, dans des régiments de montagnards. Avec M.V. qui était mon capitaine, nous sommes à peu près les seuls survivants de la 6ème compagnie. Nous avons fait les Epargnes, Verdun-Vaux, Noyons-Saint-Quentin, le Chemin des Dames, l'attaque de Pinon, Chevrillon, le Kemmel. La 6ème compagnie a été remplie cent fois et cent fois d'hommes. La 6ème compagnie était un petit récipient de la 27ème division comme un boisseau à blé. Quand le boisseau était vide d'hommes, enfin quand il n'en restait plus que quelques-uns au fond, comme des grains collés dans les rainures, on le remplissait de nouveau avec des hommes frais. On a ainsi la 6ème compagnie cent fois et cent fois d'hommes. Et cent fois on est allé la vider sous la meule. Nous sommes de tout ça les derniers vivants, V. et moi. J'aimerais qu'il lise ces lignes. Il doit faire comme moi le soir : essayer d'oublier. Il doit s'asseoir au bord de sa terrasse, et lui, il doit regarder le fleuve vert et gras qui coule en se balançant dans des bosquets de peupliers. Mai, tous les deux ou trois jours, il doit subir comme moi, comme tous. Et nous subirons jusqu'à la fin."
La guerre n'est pas une catastrophe, c'est un moyen de gouvernement. L'état capitaliste ne connait pas les hommes qui cherchent ce qui nous appelons le bonheur, les hommes dont le propre est d'être ce qu'ils sont, les hommes en chair et en os ; il ne connaît qu'une matière première pour produire du capital.
Pour produire du capital, il a à certains moments, besoin de la guerre, comme un menuisier a besoin d'un rabot, il se sert de la guerre. L'enfant, les yeux bleus, la mère, le père, la joie, le bonheur, la paix, l'ombre des arbres, la fraîcheur du vent, la course sautelante des eaux, il ne connaît pas (...) Il n'a de loi que pour le sang et pour l'or. Dans l'état capitaliste, ceux qui jouissent ne jouissent que de sang et pour l'or. Dans l'état capitaliste, ceux qui jouissent ne jouissent que de sang et or (...) L'état capitaliste nous cache gentiment le chemin de l'abattoir (...)
Je préfère vivre. Je préfère et vivre et tuer la guerre, et tuer l'état capitaliste (...) Je ne veux pas me sacrifier. Je n'ai besoin du sacrifice de personne."
Jean Giono - Le refus d'obéissance
Tags : Première Guerre Mondiale, pacifisme, capitalisme, Jean Giono
-
Commentaires
Une évidence : la guerre rapporte beaucoup à beaucoup !! "La guerre, ce sont des gens qui se connaissent, et qui envoient se battre des gens qui ne se connaissent pas.". Je ne sais plus qui a dit ça ! Un monde qui ne connaîtrait pas la guerre, c'est un monde de conte...Bises et bonne journée, Jean-Pierre
3Jonas D.Mercredi 11 Novembre 2015 à 13:58Il n'y a pas d'issue, la guerre est dans l'homme. Même le meilleur d'entre nous a cette violence en lui. Bises. Jonas
texte implacable de Jean Giono. Et à la guerre on envoie principalement les jeunes. Bises et quelle chance de vivre en paix. Bises et merci
Bonjour, l'homme est assoiffé de pouvoir et de gloire… et prêt à tout pour être le meilleur. Merci pour ce texte quye j'ai relu avec plaisir
Passe une très bonne journée
Merci à tous d'être revenue très vite me lire après un mois et demi d'absence !
@ Peache
une situation désespérante mais sans espoir, ce serait sans doute pire. Je crois que ce qu'à vécu Giono et des millions d'autres étaient tellement épouvantable, qu'ils ont sans doute espéré sincèrement que cela ne pourrait plus se reproduire, pas par naïveté, mais par impossibilité de croire que le pire était toujours possible.
@ Jean-Pierre
D'après le net, ta citation est de Paul Valéry. J'en connais une autre : "on croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels" d'Anatole France, c'est malheureusement tellement vrai.
@ Jonas
C'est vrai mais je crois que de tout temps, des gens se sont révolté devant cette idée de guerre et ce sont ces gens qui donnent envie de continuer malgré tout, sinon ce serait vraiment désespérant (voir mon commentaire à Peache)
@ Flipperine
Oui, ayant eu la chance de ne connaître que la paix jusqu'ici, j'ai du mal à réaliser ce que ça doit être; combien de gens traumatisés pour les intérêts de quelques uns !
@ Durgalola
En paix ici oui, mais ailleurs dans bien d'autres endroits non et nous devons penser à eux, le pauvre Giono doit se retourner dans sa tombe.
@ Jackie
Il y a des gens humbles et simples qui ne sont pas mégalomanes et ce sont eux les principales victimes de la guerre et des violences
Passez un bon week end, bises
Esclarmonde
Se servir des horreurs déjà vécues pour qu'elles ne se reproduisent jamais....et se souvenir que le miel qui fait la vie est à protéger tous les jours avec amour, force et détermination...quitte à désobéir! Merci Esclarmonde!
Je n'ai pas connu mon grand-père paternel. Il a été tué en avril 1916 à Esnes en Argonne, il avait 27 ans. J'ai son portrait sépia en militaire dans un grand cadre et puis sa fiche retrouvée dans les archives de l'armée sur internet. C'est tout. Il était paysan comme beaucoup dans ma famille. Le canon aime le laboureur... Je pense à lui souvent.
Bises
Alain
@ Bergamotte
Quand j'ai écris cet article, j'ignorais à quel point il allait être autant d'actualité quelques jours plus tard, on a encore une guerre qui se fait sur le dos des peuples et leurs légitimes aspirations à la paix, qu'on soit français, syrien ou d'ailleurs...
@ Alain
Merci pour ton témoignage émouvant, oui les paysans ont payé un très lourd tribus à cette guerre, puisqu'on les mettait en première ligne, souvent dans des batailles où ils n'avaient quasiment aucune chance de s'en sortir vivants...
Très belle soirée à vous deux, bises
ESclarmonde
Ajouter un commentaire
si ceux qui exigent la guerre allaient la faire eux mêmes, ils s'extermineraient mutuellement, et les peuples des vrais gens pourraient poursuivre en paix leur oeuvre d'humanité . Mais hélas, il y a l'or, et il est d'un tel attrait qu'il y aura, toujours aussi hélas , encore et toujours des assoiffés de richesse, de puissance et la mégalomanie a encore de beaux jours devant elle.
Heureusement, il y a de plus en plus de femmes et d'hommes pour refuser d'obéir !Content de te voir de retour ! bonne journée