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Le piéton de Dublin
Dublin, le 13 février 1994,
Dublin, O'Connell Street, le "Spire" (le grand monument pointu) n'existait pas encore lorsque je suis allée là-bas.
Je reconnais bien cette ville que j'avais visité huit ans auparavant. Ce n'est pas chez moi et en plus, je ne suis pas citadine dans l'âme, mais je m'y sens bien.
N'ayant pas le talent de Joyce ou d'autres génies de la littérature irlandaise pour vous décrire mes impressions, j'en resterais là. Je m'y sentais bien, c'est tout.
Je me sens privilégiée par rapport aux autres, aux quatre filles que je traîne avec moi. Elles viennent pour la première fois dans ce pays où il me parait tout naturel de revenir et je pense que je vais y revenir encore souvent.
En tout cas, je pense naturellement que je peux jouer une sorte de guide, indiquer ce qui vaut le coup d'être visité et ce qui n'est qu'un "piège à touriste".
Pour le moment, nous sommes seulement arrivées après une nuit passée sur un ferry sans chauffage, nous étions transies de froid jusqu'aux os et on a peu dormi. Mais je ne sens pas la fatigue.
Une faille commence à se former dans le groupe, j'ai envie de me promener au hasard, le nez au vent mais je crains que les autres aient tout programmé et tout planifié. Or, je sais que l'Irlande est un pays où il ne faut rien planifier ou alors de façon très vague. L'impondérable le plus connu est la météo changeante et l'autre est le surgissement de l'improbable et de l'inattendu. Celui-ci arrive à l'angle de chaque rue ou de chaque chemin, par quelqu'un qui va vouloir discuter un bon moment par exemple même si vous avez un bus à prendre. Il vous détourne de l'endroit que vous avez voulu absolument voir mais dont vous reportez la visite sine die car vous avez volontairement échoué dans un petit bled inconnu des guides touristiques mais où le pub et les habitants sont particulièrement accueillants.
Pour le moment l'inattendu prend la forme d'un piéton, le piéton de Dublin. Il arpente de façon plutôt nonchalante le trottoir puis en un fraction de seconde, il se transforme en citadin pressé le temps de traverser une rue. Il ignore les passages piétons et les feux. Rouge, vert, peu importe, il zigzague entre les voitures même si celles-ci sont en train de démarrer alors que le feu est passé au vert pour elles. Le piéton de Dublin n'en a cure, pour lui le feu est toujours au vert. Le plus souvent, il fait de grands gestes aux automobilistes pour les prévenir de son passage impromptu et les conducteurs klaxonnent pour les prévenir que eux ils ont la priorité et que ces piétons sont complètement cinglés. Enfin, je les imagine bien en train de penser ça.
Je trouve ça très drôle, voire burlesque, sorte de poésie urbaine. Mais je m'aperçois que mes compagnes de voyage ne sont pas d'accord. Elles trouvent cela ni drôle, ni burlesque, encore moins poétique. Ces gens-là sont imprudents, sans gène et ne respectent pas le code de la route... Je sens que mes compagnes vont au devant de nombreuses déconvenues dans ce pays.
En effet, quelques jours plus tard, leur raideur n'a pas baissé, bien au contraire, devant le piéton de Dublin. Et moi, c'est l'inverse : de voir cette improbable façon de traverser les rues me ravit même si je sais qu'au volant d'une voiture, je réagirais probablement tout autrement ! Ces gens offusquent mes compagnes de voyage de plus en plus ce qui me ravit. Je ne sais pas encore complètement me démarquer des autres et faire dans une désinvolture gentiment provocatrice et le piéton de Dublin le fait pour moi...
Un après-midi, dans O'Connell Street, une grande artère de Dublin, celle où se trouve la Grande Poste où s'est déroulé l'Insurrection de 1916. Une vieille dame avec un cabas marche devant nous d'un pas décidé et comme le font les autres dublinois, elle bifurque brusquement pour traverser la rue, un endroit ou bien sûr, il n y a pas de passage piéton. Mais elle a décidé que ce serait là qu'elle traverserait. Et pas ailleurs.
On entend un grand bruit : un autobus vient de renverser la vieille dame. Celle-ci est projetée au sol. Elle est allongée par terre et ne bouge plus. Nous sommes pétrifiées et on s'attend au pire mais une dizaine de personnes arrivent vers elles dans la seconde qui suit. Elles parlent à la dame inanimée qu'on voit tout d'un coup se redresser et se mettre assise à notre grande surprise. Une ambulance arrive. Je dis à mes compagnes que je trouve désormais encombrantes, que ce n'est pas la peine qu'on reste là. Et nous nous éloignons. Pour elles, la vieille dame n'existe plus, elles ne pensent qu'à une seule chose, retourner dans le quartier branché de Temple Bar...
La Grande Poste de dublinComme musique, pour illustrer mon récit, je ne voulais ni une musique trop traditionnelle, ni un artiste ou un groupe trop connu en France et je désirais aussi une musique à peu près contemporaine à mon histoire. J'ai trouvé avec le groupe Kíla et son album "Mind the Gap" sorti en 1995, c'est à peu près la même époque... Et j'ai beaucoup aimé cette musique ancrée en son temps et en même temps qui puise ses racines très très loin dans l'histoire musicale irlandaise...Pour en savoir plus sur ce groupe dont je connais maintenant plusieurs titres et me plait beaucoup, cliquez ICI.
Tags : dublin, pieton, bien, autres, grands
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Commentaires
On plonge dans la vie de Dublin grâce à ce récit
Merci et bonne journée
Bisous
Frieda
Et c'est pourquoi il t'attire autant.
Bisous !
merci pour la musique
bisous
Douce journée
Bisous
timilo
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Bonne journée Esclarmonde
Louv'