• Deuxième partie, pour la première partie, voir ici.

     

      

    Le prince des ténèbres (2/4)

     

       Une fois que les enfants sont au lit, cette tranche de vie rassurante, conforme au bonheur familial idéal s'éteint ce soir- là. Ton mari a bu, il se colle contre toi en t'inondant de petits mots doux et certains un peu vulgaires. Cela te met mal à l'aise car il empeste un mélange de cigarettes et de bière et ses simagrées te font penser à celle d'un gamin rusant pour avoir le jouet qu'il convoite. 

       

       Tu oses. Tu oses lui dire qu'il sent la bière à plein nez et que ton expérience te fait deviner qu'il a bu au moins dix bières. C'est le mot de trop, tu as toujours été trop franche et trop limpide, et en face, celui que tu as choisi d'épouser est ombre et lumière, et ce soir-là, toujours sans que tu t'y attendes, il est devenu le prince des ténèbres. 

     

      

       Il n'a pas aimé que tu lui dises qu'il sent l'alcool et que tu es un peu lassée qu'il rentre à la maison dans cet état.  Il n'a pas aimé que tu lui dises qu'il sent l'alcool et que tu tu es un peu lassée qu'il rentre à la maison dans cet état. Il a commencé par t'attraper par les cheveux et à t'allonger deux gifles et sous le choc, ta tête a heurté le coin du frigo. Tu t'es laissée tomber par terre souhaitant mourir. Que n'importe qui te tabasse, le psychopathe croisé un jour de malchance ou le voyou du coin, tu t'en remettrais. Mais pitié mon Dieu, pas celui que tu aimes, l'amour que tu lui portes décuple la douleur. 

     

       

       Cela fait longtemps que tu lis dans les journaux les faits divers de ce genre mettant en scène un couple souvent alcoolique et marginal, lui frappe sa femme ou sa compagne, souvent à mort, puis parfois sort dans la rue avec son fusil de chasse et tire dans le tas, parfois aussi, il s'en prend à lui-même et les flics retrouvent son corps allongé à côté de celui de sa compagne de désespérance.  

      

       Vous n'êtes pas des marginaux l'un et l'autre, un emploi respectable et pas trop mal payé pour lui, une place de mère au foyer avec de beaux enfants bien tenus. aussi les coups sont comme amortis par des parois en mousse de votre jolie maison. Les voisins vous voient comme des gens charmants et heureux et si ton mari est parfois bourré comme un coing, cela est vu comme normal ici parce qu'à part ça, il est charmant et aime bien bavarder malgré une timidité bien visible.  Après tout les Dieux celtes s'enivraient bien dans des banquets et Dionysos ne montrait pas un meilleur exemple.

     

     

       Tout en te frappant, ton mari te crie plusieurs fois de te taire, de la fermer et qu'il n'en peut plus, que tu es insupportable.  Bien sûr, il te l'a déjà dit, tu es une enfant gâtée, tes parents et tes deux tantes te couvraient de cadeaux et de fringues qui coûtaient la peau des fesses pendant que lui le plus souvent,  

    mettaient les vêtements usagés de son frère aîné, que tu avais le droit de tout faire, en particulier des déclarations à l'emporte-pièce de chipie mal élevée qui à lui, lui aurait valu une bonne correction de la part de ses parents qui eux, ne plaisantaient pas avec l'éducation. 

      

       Tu entend cela dans un bain de coton,  tu arrives d'un milieu bourgeois décadent de petits profs à la paye garantie toutes les fins de mois alors que chez ton mari, on ne gaspille rien et on se sert les coudes. Une tribu un peu grégaire aux habitudes ancestrales. A cet instant, tu le hais, tu trouves que c'est un bon-à-rien obtus venu d'une famille de mauvais prolos qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Qu'il est bien de son milieu : tout juste bon à faire l'intéressant devant les copains et picoler mais dès qu'il est question de faire quelque chose de sérieux, il n y a plus personne. 

     

    (fin de la deuxième partie)

     

     

     


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  •   En ce dernier week-end, c'était "la journée contre les violences faites aux femmes", je ne pense pas malheureusement, que ce genre de journée change quoi que soit mais c'est une occasion pour moi de ressortir un texte que j'ai écris il y a plusieurs mois pour enfin le publier après quelques corrections... Assez long, il va être publié en quatre parties.

     

     

    le prince des ténèbres (1/4)

     

       Cela arrive toujours de la même façon : en général les enfants sont déjà couchés, à croire que ton mari calcule son coup. D'ailleurs, il a des grands principes, l'un d'entre eux est que les enfants sont sacrés, la vie est sacrée d'ailleurs pour lui, il te l'a dit plusieurs fois. Tu l'as toujours cru sincère enfin, jusqu'à il y a

    quelques temps, jusqu'à ce jour où il est revenu de son travail, visiblement ivre. 

      

       C'est de plus en plus fréquent qu'entre son bureau et la maison, ton mari fasse une pause dans un bistrot, le plus souvent avec ses collègues. Ce sont les habitudes de bien des hommes et c'est pour cela que jusqu'ici tu n'as rien dit. Tu t'es juré de t'adapter et tu sais que bon nombre d'entre eux ont besoin de décompresser d'une journée de travail, de leur vie familiale, de leurs rêves brisés. Les frustrés sont aussi légion. Le courage leur manque, la vie s'écoule au jour le jour et leurs rêves d'enfant s'éloignent. La frustration grandit comme un mauvais parasite en eux et seul l'alcool soulage, très brièvement, leur douleur. 

     

       Ton mari dit souvent que le système broie l'enfant qui est en lui, il t'a dit cela lors d'une ses de 

    crises où la réalité devient pour lui plus insupportable que d'habitude.  Pourtant, tu lui as dit un jour que,  pour un fils d'ouvrier, il ne s'était pas mal débrouillé jusque là. Tu as raison, t'as-t-il répondu, je ne sais pas ce que je veux et ce que je cherche et cela depuis toujours mais si je suis encore debout et fier, c'est 

    que je t'ai trouvé toi ma princesse que j'aime. 

      

       Tes trois enfants ont entre 1 et 5 ans et peut-être se sont-ils aperçu de rien et il est vrai que ton mari a attendu qu'ils aient pris le bain et se soient couchés avant qu'il commence à te frapper. Cela aurait été dommage qu'ils voient ça, ils sont si heureux, l'aîné à la maternelle et les deux autres avec Maman qui s'occupe d'eux toute la journée, avec un beau jardin, des promenades somptueuses autour et le soir, le bain où ils rient aux éclats. Mais tu commences à avoir peur pour eux. 

      

       Tu es le prototype de la femme soumise, de la ménagère d'autrefois, tu ne maîtrise pas ton corps comme disent les féministes ; tu as changé plusieurs fois de pilule car tu ne les supporte pas. Tu as essayé le DIU, tu ne le supportes pas non-plus, ce machin te donnait des douleurs terribles parfois. Ta vie professionnelle piétine depuis près de six ans car dès que tu veux recommencer à travailler, une grossesse se déclare. Quelque chose venu de temps archaïques te rend fertile, te dicte de te reproduire, de donner des enfants à ton mari qui n'en demande pas tant bien que l'idée de l'avortement lui donne des nausées et toi, tu as trouvé le moyen de tomber enceinte tout en prenant la pilule. Occasion pour toi de te dire que les journalistes parisiens derrière leur bureau ne comprennent rien à des femmes ordinaires comme toi. Le malthusianisme et le carriérisme t'es étranger. Mais on dirait que dans cette société, il faut choisir entre manger et être mangé et comme tu n'arrives pas à être méchante, tu te 

    retrouves proie. 

      

    (fin de la première partie)

     


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  •  

     

     On m'a déposée à l'entrée de la maternité des Lilas près de Paris. Qui ? Je ne le saurai jamais. C'était le 6 mars 1962. Il parait qu'un pédiatre m'a examiné et a estimé que je devais être âgée que de quelques heures à peine et que j'étais en bonne santé. Pour le reste je n'en sais rien et ne le saurai jamais.

     

       Je suis devenue officiellement Pupille de la Nation et ai été confiée aux bons soins des puéricultrices de la maternité. On me donna un nom : Agnès Louise Thérèse.

     

       Comme personne ne se manifesta, ni père ni mère, je devins adoptable.

     

       J'avais six mois lorsque mes parents adoptifs vinrent faire ma connaissance et quelques semaines plus tard, ils me ramenèrent chez eux, ivres de joie. 

     

       On me donna mon nom définitif : Claire Albertine Suzanne Marty.

     

       Claude et Colette, enfin Papa et Maman, étaient mariés depuis maintenant quinze ans et n'étaient pas arrivés à avoir un enfant. Ils se sentaient inutiles comme deux arbres fruitiers ne donnant jamais de fruits. 

     

       Et moi, on m'évitais une enfance d'errance de foyer en foyer et de plus, lorsque j'ai eu cinq ans, mes bienfaiteurs m'emmenèrent loin de la grisaille de la banlieue parisienne pour un des plus beaux endroits du monde : le Piémont Pyrénéen entre les pics enneigés et la riante vallée de la Garonne, un pays de Cocagne que je n'ai quitté qu'à l'âge de vingt-deux ans mais c'est une autre histoire...

     

       J'ai grandi dans une grande et belle maison, d'ailleurs bien trop grande pour mes parents et moi, menant la vie dorée d'une enfant d'enseignants à la fin des Trente Glorieuses et au début des Trente Honteuses qui n'avaient pas encore de nom car elles arrivaient en catimini. 

     

       Ski l'hiver, plage l'été, découverte de la campagne, la vraie, celle qu'on trouvait encore à l'époque : odeur de pain frais, de soupe aux légumes, de saucisson et de confiture maison chez mes grands parents dans la Montagne Noire.... 

     

       J'étais chez moi, comme si mes vrais ancêtres étaient d'ici, entre Massif Central et Pyrénées et pourtant, je suis partie comme si je recherchais mes origines et auparavant, j'avais étudié l'anglais, le russe, l'espagnol me demandant inconsciemment si je n'allais pas tomber sur la langue de mes vrais ancêtres.

     

       Et peut-être que si je me suis mariée avec un étranger, c'est peut-être parce qu'il me semblait si proche... L'étrangeté je connais, même si pour tout le monde ici, je suis la fille de Claude et Colette, la petite fille d'Emile et d'Albertine, de Jean et Madeleine, la descendante d'une famille si ancienne et si locale qu'il y a des Cathares et des troubadours dans nos ancêtres.

     

       Mon mari qui a tant d'imagination m'a dit que peut-être je suis la survivante d'une terre engloutie ou la fille d'un Dieu et d'une louve...

     

    Je me suis documentée sur les enfants nés sous X ou trouvés à l'entrée des hôpitaux, et c'est souvent des histoires sordides et cruelles qui sont à l'origine de ces gestes désespérés : mettre au monde un enfant, ne surtout pas le contempler et le laisser à l'administration en espérant que son destin ne soit pas funeste...

     

       Je pense des fois à ma mère biologique et je me dis qu'elle a eu raison de me laisser ma chance et ses semblables d'infortune ont sans doute raison d'espérer la providence encore et toujours pour d'autres bébés, acte d'amour ultime qui a permis le bonheur à mes parents d'adoptifs et bien d'autres encore.

     

       Et si ceux qui m'ont conçu sont bel et bien louve et  dieu, je suis déesse louve et je les remercie de m'avoir laissé la vie sauve.

     


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  •    Très occupée en ce moment, je n'ai pas du tout d'inspiration pour le moment pour un nouvel article et de plus, aujourd'hui, je n'ai pas eu le temps de vous rendre visite....

     

       En attendant que je sois plus disponible, je vous invite à consulter les vieux articles (presque un an et demi de blog, pas mal !) et je ne vous oublie pas, j'irai vous rendre visite régulièrement, à un rythme plus lent néanmoins.

     

    Bisous à tous et à bientôt

    Esclarmonde

     

     

     


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  •  Suite de "Comme dans un film de Mike Leigh" et "Donovan".

    Un goût de bière ambrée

     

     

       Je me souviens encore de ce matin-là où tout m'est revenu en mémoire quelques secondes après mon réveil :  le pub enfumé, le goût de la bière ambrée, moi qui normalement n'en bois quasiment jamais et les clients curieux, bienveillants et malicieux qui voulaient de nouveau faire remplir mon verre dès qu'il était vide. Une ambiance 

    chaude, presque animale, à un point tel que je me croyais, non pas à Londres, mais sur une île battue par la tempête où, pour survivre, les habitants doivent se serrer les coudes. 

       

       Et je me souviens de ses doigts courant sur sa guitare.    

       Et je me souviens de sa voix, douce et puissante à la fois. 

       Et je me souviens qu'il en avait perdu la timidité un peu brusque qu'il affichait   lorsque on s'est retrouvés avant d'aller dans ce pub. Il avait oté son masque de vendeur et j'ai pu ainsi découvrir un autre Donovan. 

       

    Et je me souviens qu'il m'a appelé pour que je vienne à côté de lui. Il voulait que je chante avec les autres. Mais je ne connaissais pas l'air que tout le monde sans exception, s'est mis à chanter en choeur, les vieux ivrognes à la voix éraillée comme les jeunes au timbre plus assuré. Alors, j'essayais de fredonner et Donovan m'encourageait du regard. 

       

    Vingt-trois heures est arrivé. L'heure où il est interdit aux tenanciers de pub de servir d'autres boissons mais ces clients là avaient fait remplir leur verre un peu avant l'heure fatidique, voire deux pour certains et on a pu rester encore un moment à chanter et à avoir de grandes discussions enfévrés. J'avoue que moi, je n'y ai guère participé car je ne suis pas trop au fait de leur Histoire et de leurs préoccupations. Alors, j'ai préféré les écouter.  

       

       Et surtout, Cathy, j'étais tellement hypnotisée... Connais-tu beaucoup de gens qui récitent plusieurs fois par jour des poèmes et jouent de la guitare comme personne ? Moi oui, un, et je l'aime. Je suis dans la situation de celui ou celle qui a embarqué sur un bateau et ne peut plus en redescendre, la passerelle ayant déjà été enlevée. 

    Et je vogue maintenant à travers les brisants vers un monde où la musique est reine et la laideur abolie. 

      

       Maintenant Cathy, lis ce petit texte que j'ai écris pour lui : 

    « Oublie AngieMrs Robinson et Molly Malone, je voudrais être ta L.A. Woman ou ta Tattoo'd Lady. Tu es pour moi comme A Bridge Over Troubled Water. J'Imagine que tu es à mes côtés et que je te murmures Touch Me et Light My Fire. Et Jamais ce ne sera The End

       

    Reviens moi car sinon je pourrait être So Lonesome I could cry. On m'a toujours dit You can't always get what you want et cependant je t'ai rencontré et désormais je monte le Stairway to Heaven. Et mon coeur est si bouleversé que je ne peux qu'exprimer dans ma langue maternelle tout mon amour pour toi : Que serais-je sans toi ? ou Ne me quittes pas. Avec toi, je verrai La vie en rose et je crierai partout : Je l'aime à mourir ! » 


     

    Avec des titres de chansons de Simon & Garfunkel, The Doors, Rory Gallagher, 

    Hank Williams, John Lennon, Led Zeppelin, The Rolling Stones, Jean Ferrat, 

    Jacques Brel, Edith Piaf, Francis Cabrel et un air traditionnel irlandais. 


    Un goût de bière ambrée

     

     



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